CHAPITRE 17

 

Le commissariat de Fell Street était un immeuble sans cachet, d’un style que je qualifierais de « baroque martien ». Qu’il ait été conçu pour être un commissariat ou choisi après sa construction pour en installer un était difficile à déterminer. C’était une forteresse. Les façades en briques rubis faussement érodées et les contreforts étaient autant de niches naturelles dans lesquelles étaient installés de hauts vitraux entourés par les émetteurs de générateurs de champ de force. Sous les fenêtres, la surface abrasive de la pierre écarlate était sculptée, reflétant la lumière du matin et lui donnant une teinte sanglante. J’ignorais si les marches qui menaient à l’entrée principale étaient délibérément inégales, ou si elles étaient usées.

À l’intérieur, les rayons de lumière filtraient par les vitraux. Un étrange calme m’a envahi. Sûrement des subsoniques, destinés à calmer les hordes qui attendaient sagement sur les banquettes. Pour des suspects en état d’arrestation, ils étaient d’une indifférence étonnante, une indifférence qui n’était sûrement pas due aux peintures zen populistes décorant la salle. Traversant la tache de lumière colorée, je me suis frayé un chemin à travers de petits groupes discutant à des niveaux sonores plus appropriés dans une bibliothèque que dans un centre de détention, avant de me présenter à la réception.

Un policier en uniforme, probablement le sergent de permanence, m’a salué avec amabilité. Les subsoniques devaient l’affecter lui aussi.

— Lieutenant Ortega, lui ai-je dit. Dommages organiques.

— Qui dois-je annoncer ?

— Elias Ryker.

Du coin de l’œil, j’ai vu un officier en uniforme sursauter en entendant le nom, mais il n’y a eu aucune autre réaction. Le sergent a pris son téléphone et a passé un appel, avant de se tourner de nouveau vers moi.

— Elle envoie quelqu’un. Êtes-vous armé ?

J’ai acquiescé et j’ai mis la main dans mon blouson pour en sortir le Nemex.

— Donnez-moi votre arme lentement, a ajouté l’homme en souriant. Notre logiciel de sécurité est très sensible et il pourrait vous zapper s’il considère que vous dégainez trop vite.

J’ai ralenti mes mouvements et j’ai posé le Nemex sur le comptoir avant de détacher le Tebbit de mon bras. Le sergent m’a lancé un sourire béat.

— Merci. Tout vous sera rendu quand vous quitterez le bâtiment.

Les mots avaient à peine quitté ma bouche que deux des Iroquois débouchaient d’une porte au fond de la salle, se dirigeant à grands pas vers moi. Tous deux avaient le regard sombre. Étant donné le peu de temps qu’il leur a fallu pour m’atteindre, les subsoniques n’avaient pas eu le temps d’agir. Ils m’ont pris un bras chacun.

— À votre place, je ne ferais pas ça, ai-je déclaré.

— Eh, il n’est pas en état d’arrestation, vous savez ! a dit le sergent pour calmer les esprits.

Un des Iroquois lui a jeté un coup d’œil et a reniflé d’exaspération. L’autre m’a fixé des yeux comme s’il n’avait pas mangé de viande depuis longtemps. J’ai soutenu son regard en souriant. Après le rendez-vous avec Bancroft, j’étais retourné au Hendrix et j’avais dormi près de vingt heures. J’étais reposé, neurochimiquement alerte, et je ressentais une aversion cordiale pour l’autorité. Quell aurait été fière de moi.

Cela a dû se voir. Les Iroquois ont abandonné leur envie de me fouiller et nous avons tous les trois grimpé quatre étages dans un silence brisé par les cliquetis de l’ancien ascenseur.

Le bureau d’Ortega avait pour fenêtre un des vitraux, ou plus précisément la moitié inférieure d’un vitrail, coupé horizontalement par le plafond. Le reste devait s’élever comme un missile du plancher du bureau d’au-dessus. J’avais ma réponse : le bâtiment avait sans nul doute été converti pour son utilisation actuelle.

Le reste de la pièce était baigné dans un environnement virtuel standard, représentant un coucher de soleil tropical sur l’océan et sur quelques îles. La combinaison du vitrail et de la lumière noyait le bureau dans une douce lueur orangée où l’on voyait flotter la poussière.

Ortega était prisonnière derrière une lourde table en bois, qui me donnait l’impression d’être une cage. Le menton dans une main, le genou pressé contre le bord du bureau, elle étudiait l’écran d’un antique ordinateur. Les seuls autres objets sur le bureau étaient un vieux Smith & Wesson de gros calibre et une tasse de café en plastique, de laquelle elle n’avait pas retiré la résistance chauffante. Elle a congédié les Iroquois d’un geste.

— Asseyez-vous, Kovacs.

J’ai regardé autour de moi, repéré une chaise sous le vitrail et je l’ai approchée du bureau. La lumière de fin d’après-midi me désorientait.

— Vous travaillez de nuit ?

Ses yeux se sont embrasés.

— C’est quoi, cette connerie ?

— Oh, rien ! ai-je dit en levant les mains. J’ai juste pensé que vous aviez programmé le décor. Vous savez qu’il est 10 heures, dehors.

— Ah, ça ! a grogné Ortega en regardant de nouveau l’écran de l’ordinateur.

Difficile à dire dans le coucher de soleil tropical, mais elle devait avoir les yeux gris-vert, comme la mer attendant l’ouragan.

— Il est complètement désynchronisé, a-t-elle continué. Le département l’a racheté pour que dalle à El Paso Juarez. Il tombe en rade, parfois.

— Dur.

— Ouais. Je l’éteins de temps en temps, mais les néons sont… (Elle a levé brusquement les yeux.) Mais qu’est-ce que je fous… Kovacs, savez-vous à combien vous êtes du placard ?

J’ai presque touché mon pouce et mon index droit et je l’ai regardée à travers le petit espace.

— À peu près l’épaisseur du témoignage de la clinique Wei, d’après ce que j’ai entendu.

— Nous pouvons vous coincer, Kovacs. 7 h 43, hier matin… vous êtes sorti par la porte principale, plus vrai que nature.

J’ai haussé les épaules.

— Et ne croyez pas que les relations de votre Math vont vous sauver. Un chauffeur de limousine de la clinique Wei raconte une histoire intéressante sur un détournement et de vraies morts. Il pourrait peut-être parler de vous…

— Vous avez saisi son véhicule ? ai-je demandé d’un ton léger. Ou Wei l’a-t-il récupéré avant que vous puissiez faire les tests ?

La bouche d’Ortega s’est serrée et j’ai hoché la tête.

— C’est ce que je pensais. Et le chauffeur la bouclera jusqu’à ce que Wei le fasse sortir, je suppose.

— Écoutez, Kovacs. Si je continue à pousser, quelque chose finira par craquer. C’est une question de temps, fils de pute. Juste une question de temps.

— Quelle ténacité admirable. C’est dommage que vous n’en ayez pas fait preuve pour l’affaire Bancroft.

— Il n’y a pas de putain d’affaire Bancroft !

Ortega s’était levée, les mains sur le bureau, les yeux plissés de rage et de dégoût. J’ai attendu, sur mes gardes, me demandant si les suspects se blessaient « accidentellement » à Bay City. C’était parfois le cas dans d’autres commissariats.

Enfin, après une longue inspiration, le lieutenant s’est replié sur sa chaise. La colère avait quitté son visage, mais le dégoût était toujours présent, visible dans les fines rides aux coins de ses yeux et la forme de sa bouche. Elle a regardé ses ongles.

— Savez-vous ce que nous avons trouvé à la clinique Wei, hier ?

— Des pièces détachées de marché noir ? Des programmes de torture virtuelle ? À moins qu’ils ne vous aient pas laissé rester aussi longtemps…

— Dix-sept corps dont la pile corticale avait été brûlée. Désarmés. Dix-sept cadavres. Vraiment morts.

Elle m’a regardé de nouveau, le dégoût toujours présent.

— Il faut me pardonner mon manque de réaction, ai-je dit froidement. J’ai vu bien pire quand je portais l’uniforme. En fait, j’ai fait bien pire quand je livrais, à sa place, les batailles du Protectorat…

— C’était la guerre.

— Oh, arrêtez…

Elle n’a rien répondu. Je me suis penché sur son bureau.

— Et ne me dites pas que ce sont ces dix-sept cadavres qui vous énervent, ai-je dit avant de désigner mon visage. C’est lui, votre problème. Vous n’aimeriez pas que quelqu’un le découpe en morceaux.

Après un court silence, elle a cherché un paquet de cigarettes dans le tiroir. Puis elle m’en a proposé une par réflexe, et j’ai secoué la tête avec une détermination farouche.

— J’ai arrêté.

— Non ? s’est-elle exclamée, avec une réelle surprise dans la voix. C’est bien. Je suis impressionnée.

Elle a allumé sa cigarette.

— Ouais, Ryker devrait être content, lui aussi, quand il sortira du placard.

Elle s’est interrompue un instant, m’a étudié derrière le voile de fumée, puis a reposé le paquet avant de le refermer d’un geste.

— Que voulez-vous ? a-t-elle demandé platement.

 

Les rayonnages de détention se situaient cinq étages en dessous, dans une cave à deux niveaux où il était plus facile de réguler la température. Comparé à PsychaSec, c’était un bouge.

— Je ne vois pas ce que ça va changer, a grommelé Ortega alors que nous suivions un technicien somnolent sur la balustrade d’acier jusqu’au 3089b. Que peut vous apprendre Kadmin qu’il ne nous ait déjà avoué ?

Je me suis arrêté et j’ai écarté les mains pour m’expliquer.

— Écoutez…, ai-je commencé avant de m’interrompre.

Sur la petite passerelle, nous étions si proches que j’en étais mal à l’aise. Quelque chose de chimique s’est produit et la posture d’Ortega est devenue soudainement fluide, dangereusement tactile. J’ai senti ma bouche s’assécher.

— Je…, a-t-elle commencé.

— 3089b, a dit le technicien en soulevant le gros disque de son support. C’est celui-ci que vous voulez, lieutenant ?

Ortega m’a poussé.

— C’est ça, Micky. Tu peux nous brancher sur un virtuel ?

— Sûr, a dit Micky en agitant le pouce vers un des escaliers en spirale situés à intervalles réguliers sur la galerie. Prenez le cinq et branchez les trodes. Ça prendra cinq minutes.

— Le problème, c’est que vous représentez le Sia, ai-je continué alors que nous avancions sur la balustrade. Kadmin vous connaît, il a eu affaire à vous durant toute sa vie professionnelle. Mentir à la police fait partie de son travail. Je suis un inconnu. S’il n’est pas sorti du système solaire, il y a une chance pour qu’il n’ait jamais rencontré un membre des Corps. Et il y a plein d’histoires qui courent sur les Diplos…

Ortega m’a jeté un petit regard sceptique.

— Vous allez lui faire peur ? Dimitri Kadmin ? Ça m’étonnerait.

— Il sera déconcerté. Et quand les gens sont déconcertés, ils lâchent des choses. N’oubliez pas, ce type bosse pour quelqu’un qui veut ma mort. Quelqu’un qui a peur de moi. Le sentiment a peut-être débordé sur Kadmin.

— Et cette petite mise en scène est censée me convaincre que quelqu’un a tué Bancroft…

— Ortega, que vous me croyiez ou non n’a aucune importance. Nous en avons déjà discuté. Vous voulez que l’enveloppe de Ryker soit de retour en sécurité, dans sa cuve, le plus tôt possible. Plus vite nous éclaircirons la mort de Bancroft, plus vite elle y retournera. Et plus je sais où je vais, moins je risque de subir des dommages organiques substantiels. Votre aide me sera précieuse. Vous ne voulez pas que cette enveloppe s’en prenne plein la tronche lors d’une autre fusillade, n’est-ce pas ?

— Une autre fusillade ?

Il m’avait fallu une demi-heure de discussion animée pour faire accepter à Ortega les bases de notre nouvelle relation. Le flic en elle n’avait toujours pas disparu.

— Ouais, après celle du Hendrix, ai-je improvisé rapidement, maudissant l’étrange alchimie qui me déconcertait. J’ai pris quelques coups là-bas. Ça aurait pu être pire.

Elle m’a lancé un nouveau regard.

Le système d’interrogatoire virtuel était situé dans des cabines bulles préfab installées au fond de la cave. Micky nous a fait allonger sur des couchettes automoulantes fatiguées qui ont mis du temps à répondre à nos formes. Puis il a appliqué les électrodes et les hypnophones avant de brancher la machine sur deux consoles avec un geste de pianiste.

— Il y a des bouchons, a-t-il commenté en se tournant vers l’écran. Le commissaire est en conférence virtuelle et ça pompe le système. Il faut attendre que quelqu’un se débranche. (Il a regardé Ortega.) C’est à propos de Mary Lou Hinchley, je suppose…

— Ouais, a dit Ortega. (Elle s’est tournée vers moi, peut-être en signe de notre nouvelle coopération.) L’année dernière, les gardes côtiers ont repêché une gamine au large. Son nom était Mary Lou Hinchley. Il ne restait plus grand-chose du corps, mais ils ont récupéré la pile. Ils l’ont fait cracher et devinez quoi ?

— Catholique ?

— Bravo ! L’absorption totale marche bien, hein ? Ouais, le premier scan nous renvoie les signaux d’interdiction pour des raisons de conscience. D’habitude, on arrête là, mais El… (elle s’est interrompue) mais l’inspecteur en charge de l’enquête n’a pas voulu abandonner. Hinchley était de son quartier. Il la connaissait depuis qu’elle était petite. Pas bien, mais… (Elle a haussé les épaules.) Il n’a pas voulu lâcher.

— Très tenace. Elias Ryker ?

Elle a acquiescé.

— Il a poussé les labos durant un mois. À la fin, ils ont trouvé la preuve que le corps avait été balancé d’une voiture aérienne. Les Dommages organiques ont creusé un peu et ont trouvé une conversation datant de moins de dix mois, et un petit ami catholique pur jus avec des compétences en infotech qui aurait pu falsifier le serment. Les parents de la fille sont des cas limites… des chrétiens, mais pas complètement catholiques. Assez riches également, avec une crypte pleine d’ancêtres en pile qu’ils sortent pour les naissances et les mariages. Le département est en discussion avec eux depuis le début de l’année…

— Et c’est là qu’intervient la résolution 653, hein ?

— Ouais.

Nous avons tous deux regardé le plafond au-dessus de nos couchettes. La cabine était une bulle préfab de base, soufflée à partir d’un globe de polyfibre comme une bulle de chewing-gum, les portes et les fenêtres découpées au laser étant rattachées ensuite avec des charnières d’époxy.

Le plafond gris n’avait absolument aucun intérêt.

— Dites-moi quelque chose, Ortega. Le suiveur que vous m’avez envoyé mardi après-midi, quand je faisais mon shopping… Pourquoi était-il si mauvais, comparé à ses prédécesseurs ? Un aveugle aurait pu le remarquer.

Elle a gardé le silence un moment.

— C’était tout ce que nous avions, a-t-elle finalement avoué, à contrecœur. Il a fallu réfléchir vite. Vous aviez jeté les vêtements, nous n’avions plus que la filature.

— Les vêtements, ai-je dit en fermant les yeux. Oh, non ! vous avez marqué la veste… La réponse est aussi simple que ça ?

— Ouais.

J’ai repassé dans mon esprit le film de ma première entrevue avec Ortega. Le complexe de justice, Suntouch House. Avance rapide des souvenirs à la recherche du détail. Nous étions sur la pelouse avec Miriam Bancroft. Ortega s’en allait…

— Je l’ai ! me suis-je exclamé en claquant des doigts. Vous m’avez tapé sur l’épaule en partant. Incroyable que je sois si stupide.

— Mouchard à liaison enzymatique. Pas plus gros que l’œil d’une mouche. Et nous nous sommes dit qu’en automne, vous n’iriez pas loin sans votre veste. Bien sûr, quand vous l’avez posée sur la poubelle, nous avons cru que vous nous aviez déjoués.

— Non. Même pas.

— Ça y est, a annoncé soudain Micky. Mesdames et messieurs, accrochez-vous à votre colonne vertébrale, c’est parti…

L’injection était plus dure que je pensais – c’était une installation gouvernementale –, mais j’avais connu pire sur Harlan.

Les hypnos, rythmant leurs sonocodes jusqu’à ce que le plafond gris devienne fascinant, luisant de traînées de lumière et de sens, se vidant de l’univers comme de l’eau croupie d’un évier.

Et j’étais…

… ailleurs.

Le nouvel univers s’étendait autour de moi dans toutes les directions. Le sol était gris acier, des renflements ressemblant à des tétons alignés à quelques mètres d’intervalle, se répétant à l’infini. Le ciel avait une teinte gris pâle avec quelques nuances suggérant des barreaux et des serrures antiques. Pour l’impact psychologique, sans doute. Si on oubliait que les félons emprisonnés savaient sans doute à quoi ressemblait une vraie serrure…

Devant moi, des meubles sortaient du sol comme une sculpture jaillissant d’une piscine de mercure. Une table de métal est apparue, suivie de trois chaises. Elles restaient liquides et douces jusqu’aux dernières secondes de leur émergence, puis devenaient dures et géométriques en acquérant une existence indépendante du sol.

Ortega s’est matérialisée à côté de moi, esquisse de femme au crayon, aux lignes diffuses. Des couleurs pastel sont apparues et ses mouvements se sont précisés. Elle s’est tournée pour me parler, une main dans la poche de sa veste. Les derniers effets de couleurs se sont affinés pendant qu’elle sortait ses cigarettes.

— Une clope ?

— Non, merci, je…

Prenant conscience qu’il était futile de m’inquiéter pour ma santé virtuelle, j’ai accepté. Ortega a allumé les deux cigarettes avec son briquet à pétrole. La première bouffée de fumée dans mes poumons a été une véritable extase.

J’ai levé les yeux vers le ciel géométrique.

— Décor standard ?

— Plutôt, a répondu Ortega en plissant les yeux. La résolution a l’air meilleure que d’habitude. Micky se la joue.

Kadmin est apparu de l’autre côté de la table. Avant que le programme virtuel ait terminé de le colorier, il a pris conscience de notre présence et a croisé les bras sur sa poitrine. Si ma présence dans la cellule le déstabilisait, comme je l’avais espéré, cela ne se voyait guère.

— Encore vous, lieutenant ? déclara-t-il quand le programme eut achevé de le matérialiser. Il existe un décret des NU fixant la durée maximum de virtualité pour chaque arrestation, vous savez.

— C’est vrai et nous en sommes loin, a dit Ortega. Pourquoi ne t’assieds-tu pas, Kadmin ?

— Non, merci.

— J’ai dit : « Assis, fils de pute. »

Il y avait une tonalité métallique dans la voix d’Ortega et, comme par magie, Kadmin a disparu pour réapparaître assis à sa table. Son visage a trahi sa colère quand il a compris ce qui s’était passé. Se calmant, il a décroisé les bras avec un geste ironique.

— Vous avez raison, c’est beaucoup plus confortable comme ça. Pourquoi ne vous joignez-vous pas à moi ?

Nous nous sommes assis de manière plus conventionnelle et j’ai observé Kadmin avec attention. C’était la première fois que je voyais ça…

Le Bonhomme Patchwork était assis devant moi.

La plupart des systèmes virtuels vous recréent à partir de votre vision de vous-même, une vision trouvée dans votre mémoire et corrigée par un sous-programme pour calmer les mégalos. J’en sors toujours un peu plus grand et plus mince qu’en réalité. Ici, le système semblait avoir mélangé toutes les perceptions différentes de la longue liste d’enveloppes de Kadmin. Je l’avais déjà vu faire, pour des essais, mais avoir une telle image naturelle de soi était rare. La plupart des humains s’attachent vite à leurs enveloppes et annulent mentalement les incarnations précédentes. Après tout, nous sommes faits pour évoluer dans le monde physique.

Rien de tel chez Kadmin. Son aspect général était celui d’un Caucasien de type nordique, d’une trentaine de centimètres de plus que moi… mais son aspect général seulement. Son visage commençait par un menton africain, large et sombre. La couleur s’arrêtait sous les yeux, tel un masque, et la moitié haute de sa figure était divisée en deux parties le long du nez, cuivre pâle sur la gauche et livide sur la droite. Le nez, à la fois charnu et aquilin, formait une bonne transition entre le haut et le bas du visage, mais la bouche était un mauvais panachage des côtés gauche et droit et le résultat était tordu. De longues mèches brunes étaient peignées en arrière comme une crinière, avec une mèche blanche du côté droit. Les mains, immobiles sur la table de métal, étaient équipées de griffes identiques à celles du voyou de Licktown, mais ses doigts étaient longs et sensibles. Et il avait des seins, beaucoup trop ronds et fermes, sur son torse musclé. Ses yeux, incrustés dans sa peau noire, étaient vert pâle.

Kadmin s’était libéré des perceptions physiques conventionnelles. En des temps reculés, il aurait été chaman ; ici, des siècles de technologie en avaient fait un démon électronique, un esprit malin qui errait dans le carbone modifié et en émergeait seulement pour posséder les corps et diffuser le chaos.

Il aurait fait un malheur dans les Corps diplomatiques.

— Veuillez m’excuser, je ne me suis pas présenté, ai-je dit.

Kadmin a souri, révélant des dents minuscules et une délicate langue pointue.

— Si vous êtes un ami du lieutenant, vous avez tous les droits ici. Seules les ordures sont limitées dans leur virtualité.

— Connaissez-vous cet homme, Kadmin ? a demandé Ortega.

— Vous espérez une confession, lieutenant ? a demandé Kadmin en rejetant la tête en arrière. Oh, quelle grossièreté ! Cet homme ? Cette femme, peut-être ? Ou, oui, même un chien pourrait être entraîné à parler, avec les bons tranquillisants, bien sûr. Sinon, ils ont tendance à devenir fous quand on les décante. Mais oui, même un chien pourrait venir ici, sous forme humaine. Nous sommes assis ici, trois silhouettes sculptées en neige électronique dans la tempête différentielle et vous parlez comme dans un feuilleton d’époque à deux balles. Vision limitée, lieutenant, vision limitée. Qui disait que le carbone modifié nous libérerait des cellules de notre corps ? Qui a prédit que les humains deviendraient des anges ?

— À toi de me le dire, Kadmin. C’est toi qui as une réputation d’enfer. (Le ton d’Ortega était détaché. Une longue liste est apparue dans sa main et elle l’a parcourue.) Maquereau, gros bras pour les triades, interrogateur virtuel dans les guerres corpo, tout ça sent le travail de qualité. Moi, je ne suis qu’un pauvre flic qui ne voit pas la lumière.

— Je ne vais pas vous contredire sur ce point, lieutenant.

— D’après ce truc, tu as été quelque temps essuyeur pour MeritCon… dépossédant les archéologues miniers de leurs trouvailles sur Syrtis Major, massacrant leurs familles pour les encourager à collaborer. Beau travail… (Ortega a fait disparaître la liste.) Tu es dans la merde jusqu’au cou, Kadmin. Enregistrement numérique du système de surveillance de l’hôtel, enveloppement simultané vérifiable, les deux piles gelées… C’est une condamnation à l’effacement garantie. Et même si tes avocats évoquent la possibilité d’une erreur de la machine, le soleil sera une naine rouge quand tu sortiras du placard.

Kadmin a souri.

— Dans ce cas, pourquoi êtes-vous ici ?

— Qui t’a envoyé ? ai-je demandé doucement.

— Le chien parle !

 

Est-ce un loup que j’entends,

Hurlant sa communion solitaire

Avec les étoiles sans maître,

Ou juste la suffisance et la servitude

Dans l’aboiement d’un chien ?

 

Combien de millénaires a-t-il fallu,

À tordre et à torturer

La fierté de l’un

Pour faire un outil

De l’autre ? »

 

J’ai inhalé la fumée et acquiescé. Comme la plupart des Harlanites, je connaissais plus ou moins par cœur les Poèmes et Autres Prévarications, de Quell. L’œuvre était étudiée dans les écoles, à la place de ses écrits politiques plus ardus, trop radicaux pour être mis dans les mains des enfants. La traduction n’était pas belle, mais elle rendait l’essence du texte. Que quelqu’un d’étranger à Harlan puisse citer un recueil aussi obscur m’impressionnait.

J’ai terminé pour lui.

 

Et comment mesure-t-on la distance qui sépare les esprits ?

Et qui pouvons-nous blâmer ? »

 

— Êtes-vous venu chercher des responsables, monsieur Kovacs ?

— Entre autres.

— Comme c’est décevant.

— Tu espérais autre chose ?

— Non, a répondu Kadmin avec un nouveau sourire. L’espoir est notre première erreur. Je veux dire que ce doit être décevant pour vous…

— Peut-être.

Il a secoué sa grosse tête.

— Certainement. Vous n’aurez pas de noms. J’assume l’entière responsabilité de mes actes.

— Voilà qui est très courageux. Tu te souviens de ce que disait Quell à propos des laquais ?

— « Tue-les en chemin, mais compte tes balles car il y a des cibles plus importantes », a répondu Kadmin en pouffant. Seriez-vous en train de me menacer alors que je me trouve en stockage policier surveillé ?

— Non, je remets les choses en perspective, ai-je dit en faisant tomber ma cendre de cigarette et en la regardant disparaître avant qu’elle touche le sol. Quelqu’un tire tes ficelles. C’est lui que je vais effacer. Tu n’es rien. Tu ne vaux pas la peine que je gaspille ma salive.

Kadmin a penché la tête en arrière et une secousse plus importante a traversé le ciel comme un éclair cubiste. La lumière s’est réfléchie sur le vernis de la table et a effleuré les mains de Kadmin. Quand il m’a regardé de nouveau, une curieuse lueur dansait dans ses yeux.

— On ne m’avait pas demandé de vous tuer, a-t-il répondu. Sauf si votre enlèvement posait des problèmes. Mais, la prochaine fois, je le ferai.

Ortega était sur lui avant qu’il prononce la dernière syllabe. La table a disparu et elle a fait tomber Kadmin de sa chaise d’un coup de pied. Il s’est relevé en roulant, et la même botte l’a atteint en pleine face et l’a allongé de nouveau. J’ai fait courir ma langue autour des blessures en voie de guérison de ma bouche et j’ai ressenti un manque certain de sympathie.

Ortega a traîné Kadmin par les cheveux, la cigarette dans sa main remplacée par un nerf de bœuf grâce à la même magie qui avait éliminé la table.

— Je t’ai bien entendu ? a-t-elle sifflé. C’étaient des menaces, enculé ?

Kadmin a retroussé ses babines en un sourire taché de sang.

— Brutalités polic…

— T’as raison, fils de pute, a répondu Ortega en lui mettant un coup de nerf de bœuf qui lui a fait exploser la joue. Brutalités policières dans une virtualité surveillée. Sandy Kim et WorldWeb One en feraient leurs choux gras. Mais tu sais quoi ? Je suis sûre que tes avocats ne voudront pas passer cette cassette-là.

— Laissez-le, Ortega.

Elle a semblé reprendre conscience et a reculé. Son visage s’est tordu et elle a pris une longue inspiration. La table est réapparue et Kadmin s’est retrouvé soudain assis, la bouche indemne.

— Toi aussi, tu y passeras, a-t-il dit tranquillement.

— Ouais. Je tremble.

Il y avait du mépris dans la voix d’Ortega, dont la moitié au moins devait être dirigée contre elle-même. Elle a fait un deuxième effort pour maîtriser sa respiration, puis a lissé ses vêtements alors que ce n’était pas nécessaire.

— Comme j’ai dit, il neigera en enfer quand tu sortiras. Si ça se trouve, je t’attendrai.

— Ton employeur a une telle valeur pour toi, Kadmin ? ai-je demandé avec douceur. Tu gardes le silence par loyauté ou tu as simplement la trouille ?

En guise de réponse, le puzzle humain a croisé les bras.

— Vous avez terminé, Kovacs ?

J’ai essayé de croiser son regard lointain.

— Kadmin, l’homme pour qui je travaille possède beaucoup d’influence. Tu as peut-être une chance de conclure un marché.

Rien. Il n’a même pas cligné des yeux.

— J’ai terminé, ai-je dit en haussant les épaules.

— Bien, a dit Ortega sombrement. Rester à côté de ce sac à merde commence à entamer mon sens légendaire de la tolérance. (Elle a agité les doigts devant les yeux du prisonnier.) Bonjour chez toi, connard.

Le regard de Kadmin s’est tourné vers elle et un rictus déplaisant a tordu ses lèvres.

Nous sommes partis.

 

De retour au quatrième étage, les murs du bureau d’Ortega s’étaient transformés en dunes de sable blanc écrasées par un soleil aveuglant. J’ai plissé les yeux tandis qu’Ortega fouillait dans son tiroir et en sortait deux paires de lunettes noires.

— Qu’avons-nous appris ?

J’ai installé maladroitement les lunettes sur mon nez. Elles étaient trop petites.

— Pas grand-chose, à part une information en or : il n’avait pas ordre de me tuer. Quelqu’un voulait me parler. Je l’avais plus ou moins compris… Après tout, Kadmin aurait pu m’éclater la pile dans le hall du Hendrix. Mais non. Donc, quelqu’un voulait passer un marché, et pas le même que Bancroft.

— Ou quelqu’un voulait vous faire parler.

J’ai secoué la tête.

— Me faire parler de quoi ? Je venais d’arriver. Cela n’a aucun sens…

— Des trucs diplos ? Des affaires en cours ? (Ortega a fait un petit geste de la main, comme si elle me distribuait les suggestions comme des cartes.) Une rancune tenace ?

— Non. Nous en avons déjà parlé l’autre nuit, vous vous souvenez ? Certaines personnes voudraient me voir mort, mais aucune ne vit sur Terre et aucune n’a assez d’influence pour se la jouer interstellaire. Sur les Diplos, je ne connais rien qu’on ne puisse trouver dans une base de données peu protégée quelque part. Et puis… ça ferait beaucoup de putains de coïncidences. Non, c’est à propos de Bancroft. Quelqu’un voulait s’incruster dans l’histoire.

— Son assassin ?

J’ai penché ma tête pour la regarder par-dessus les verres fumés.

— Vous me croyez, alors ?

— Pas entièrement.

— Oh, allez…

Ortega n’écoutait pas.

— Ce que je veux savoir, c’est pourquoi Kadmin a changé de discours, a-t-elle râlé. On l’a interrogé une bonne dizaine de fois depuis dimanche soir. C’est la première fois qu’il a failli admettre qu’il était présent à l’hôtel…

— Même à ses avocats ?

— Nous ne savons pas ce qu’il leur raconte. Ce sont de gros poissons qui viennent d’Oulan-Bator et de New York. Ils portent des brouilleurs dans toutes les entrevues virtuelles privées. Nous n’obtenons que du statique.

J’ai froncé les sourcils. Sur Harlan, toutes les gardes à vue virtuelles étaient surveillées. Les brouilleurs étaient interdits, quel que soit votre statut.

— En parlant d’avocats… ceux de Kadmin sont ici, à Bay City ?

— Physiquement, vous voulez dire ? Ouais, ils ont un accord avec un cabinet de Marin County. Un de leurs associés y loue une enveloppe pour le moment. (Ortega a eu un petit sourire.) La classe, ce sont les rendez-vous physiques. Seuls les petits cabinets font leurs affaires à distance.

— Quel est le nom de cet avocat ?

Il y a eu une petite pause.

— Kadmin est un sujet sensible. Je ne sais pas si notre accord va jusque-là.

— Ortega, nous allons jusqu’au bout. Sinon, je continue à risquer la belle gueule d’Elias avec mes enquêtes subtiles…

Elle est restée silencieuse un moment.

— Il s’appelle Rutherford, a-t-elle dit enfin. Vous voulez lui parler ?

— En ce moment, je veux parler à tout le monde. Je n’ai peut-être pas été assez clair. Je n’ai aucun indice. Bancroft a attendu un mois et demi avant de me transporter. Kadmin est ma seule piste…

— Keith Rutherford est un tas de graisse de moteur. Vous n’obtiendrez pas plus que vous avez obtenu de Kadmin. Et puis, comment suis-je censée vous présenter, Kovacs ? Salut, Keith, voici l’ancien membre des Corps diplomatiques que votre client a essayé de tuer dimanche. Il aimerait vous poser quelques questions. Il se refermera plus vite qu’un trou de pute non payée.

Elle avait raison. J’ai réfléchi un instant en contemplant la mer.

— D’accord… Écoutez, je n’ai besoin que de deux minutes de conversation. Si vous lui racontiez que je suis Elias Ryker, votre partenaire des Dommages organiques ? Je le suis presque, après tout.

Ortega a retiré ses lunettes et m’a regardé fixement.

— Vous essayez de faire de l’humour ?

— Non, d’être pratique. L’enveloppement de Rutherford vient d’Oulan-Bator, c’est ça ?

— De New York, a-t-elle répondu, crispée.

— New York. C’est ça. Il ne sait probablement rien de vous ou de Ryker.

— Probablement.

— Alors quel est le problème ?

— Le problème, Kovacs, est que je n’aime pas ça.

Il y a eu un silence plus long encore. J’ai étudié mes genoux et laissé échapper un sourire qui n’était qu’en partie fabriqué. Puis j’ai retiré à mon tour mes lunettes et je l’ai regardée. Tout était là. La peur de l’enveloppement et de ses conséquences, un fanatisme paranoïaque…

— Ortega, je ne suis pas lui. Je n’essaie pas d’être lui…

— Vous ne lui arriveriez pas à la cheville.

— Il ne s’agit que de deux minutes.

— C’est tout ?

Elle l’avait dit avec une voix de fer et elle a remis ses lunettes avec une telle brusquerie que je n’ai pas eu besoin de voir les larmes mouiller ses yeux derrière les verres miroirs.

— D’accord, a-t-elle dit enfin en s’éclaircissant la voix. Je vais vous faire entrer. Je ne vois pas pourquoi, mais je vais le faire. Et ensuite ?

— C’est un peu difficile à expliquer. J’improviserai.

— Comme à la clinique Wei ?

J’ai haussé les épaules.

— Les techniques des Diplos sont réactives. Je ne peux pas réagir à quelque chose avant que la chose se produise.

— Je ne veux pas d’un autre bain de sang, Kovacs. Ça fait désordre dans les statistiques de la ville.

— S’il y a de la violence, je ne l’aurai pas provoquée.

— Tu parles d’une garantie ! Avez-vous la moindre idée de ce que vous allez faire ?

— Je vais parler.

— Seulement parler ? a-t-elle demandé, incrédule. C’est tout ?

J’ai remis mes lunettes.

— Parfois, il suffit de parler.

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